« ON PARTIRA PAS » | Natacha Mars

Série réalisée lors du stage de Françoise Huguier 2019.

 » Quai des Platanes, le premier lotissement en dur construit pour la plus ancienne communauté gitane de la cité Arlésienne se présente en modèle dans le processus
de sédentarisation d’une ethnie longtemps jugée incontrôlable. Sortis de terre en 2004, les quarante sept logements de béton avaient d’emblée joué la carte de l’intégration sociale. Formes cubiques et toitures en zinc arrondies, son architecture évoque les roulottes sur lesquelles les arrières grands parents des actuels locataires de ce parc HLM étaient arrivés, tirés par des chevaux depuis leur Catalogne natale, il y a cent cinquante ans. Quinze ans plus tard, la vie ici reste rude. La plupart vivent d’emplois précaires, travailleurs saisonniers, vendeurs sur les marchés. Les allocations familiales et le RSA permettent de boucler tant bien que mal les fins de mois. Une fois par semaine, les femmes font leurs courses aux Restaurants du Coeur. Et elles y vont la tête haute. Fierté gitane chevillée au corps. Et puis survivre c’est aussi se battre pour préserver son identité. Aujourd’hui, le projet d’enracinement présente un bilan contrasté. Les plus jeunes, mieux scolarisés, mieux intégrés, ne semblent pas prêts faire machine arrière. Disposer d’une chambre à soi, une baignoire et du chauffage en hiver, la ville et son animation à deux pas du lotissement, sont des acquis qui pèsent lourds dans la balance. Aujourd’hui ils sont aussi de plus en plus nombreux à quitter le clan pour se marier ailleurs, avec des non-Gitans. Les plus anciens parlent d’une même voix : « Nos traditions, notre culture finiront par disparaitre. Le béton c’est notre prison, on ne nous a pas demandé ce qu’on voulait et ce mode de vie on ne s’y est jamais fait ». Ceux qui ont connu la vie d’avant militent pour se voir attribuer un terrain en pleine Camargue. Un endroit, un carré d’herbe sur la route des Saintes Maries de la Mer, où planter de nouvelles caravanes, où finir leurs jours. Pourvu qu’il y ait des roues sous la maison. Et même si elles ne tournent pas. Même s’il n’y a nulle part ou aller. L’idée d’une mobilité possible, comme une ancre accrochée à la surface d’une planète toute ronde et dont on pourrait faire le tour sans jamais s’arrêter. Ne serait-ce que dans la tête ? On ne désapprend pas la liberté quand on l’a dans le sang depuis si longtemps.  »