MAIN(S) | Maya Louhichi

Série réalisée lors du stage de Julien Magre,2018.

Presser, agripper, modeler, toucher, masser, prendre, ressentir, malaxer… Je suis allée à la rencontre d’artisans arlésiens pour leur demander le rapport qu’ils ont avec leurs mains dans leur métier. Je leur ai demandé de me parler de leurs gestes quotidiens et de leurs mains, en quoi leurs sont elles indispensables ? Praticien, céramiste, affuteur, pâtissier ont chacun répondu.
« Le toucher va me faire sentir l’urgence chez le consultant »
« Mes mains ne sont pas là pour être esthétiques, elles sont là pour travailler »
« Les mains deviennent un outil, et quand on touche la terre celle ci se plie complètement aux pressions»
« Mes mains sont indispensables pour le ressenti, je ne peux pas travailler avec des gants parce que quand je passe sur la machine avec les bandes abrasives j’ai besoin de sentir avec les doigts si elle chauffe ou pas, pour éviter que la lame du couteau soit détrempée ou qu’elle ait un souci »
« C’est surtout la pâte qu’on touche avec la main, les gâteaux c’est plutôt les ustensiles. En boulangerie par contre on est obligés de la toucher à la main, le contact est collant, mou et tiède. Tout dépend de la saison, si c’est l’hiver c’est plus frais la pâte est plus fraiche, l’été c’est difficile à travailler une pâte qui lève toute seule. On a quelque chose qui travaille, qui est vivant et réagit en fonction du temps et de l’humidité. »
J’ai ensuite demandé aux artisans d’imaginer un instant la perte de la motricité de leurs mains, que feraient ils ? Est ce qu’ils continueraient par un moyen ou un autre le métier qu’ils exercent actuellement ?
« Je pense que je préfère me casser un pied qu’une main »
« J’ai imaginé une fois si je me blessais, juste une blessure je me casse le bras par exemple, ce serait déjà compliqué. Je ne sais pas ce que je pourrai faire d’autre, j’ai toujours été manuelle alors je n’envisage pas un autre métier sans les mains »
« Ce serait extrêmement difficile d’être affuteur sans avoir ses mains, car on a besoin d’appuis »
« Si je n’avais plus qu’une main il faudrait aller plutôt vers l’enseignement dans ce cas, profiter de tout ce qu’on a acquis comme connaissance pour le retransmettre. Enseigner la technologie de boulangerie pâtisserie en expliquant sans avoir à mettre les mains dedans. Pour porter les pâtes et manier les machines qu’on utilise pour travailler j’ai besoin de mes deux mains. Ce serait difficile de continuer si j’avais de l’arthrose, des doigts qui s’ankylosent, liés à l’effort et aux mêmes mouvements répétés quotidiennement. »
A 20 ans j’ai vu mon propre père perdre la motricité de ses mains et de son corps tout entier suite à un terrible accident de la route. Réalisateur de cinéma, il a du jour au lendemain perdu toute son autonomie et a du « réapprendre » à vivre avec l’absence de ses mains.
Celles ci nous semblent tellement acquises qu’on ne se rend même plus compte du cadeau que nous possédons. Je propose ici une perception différente et intime du handicap moteur et conclue ce texte avec ces mots de mon père :
« En ce qui me concerne, ma condition physique ne m’empêchera point de continuer à vivre et de réaliser ne serait ce qu’une partie de mes rêves » Taieb Louhichi, réalisateur jusqu’à son dernier souffle.

Site web de l’auteure : mayalouhichi.com