LA TACHE BLEUE l Cécile Mirambeau

Série réalisée lors du stage de Diana Lui, 2018.

« A la naissance, mes sœurs et moi avions une petite tâche bleue-gris sur le sacrum qui disparue au bout de quelques mois. Un médecin signala à notre mère, inquiète de voir ce « bleu », qu’il s’agit d’une tâche dite « méditerranéenne » indiquant la présence d’un métissage dans notre généalogie.

Un certain mystère entoure l’histoire de cette tâche. On ne sait trop de qui ou de quoi il s’agit. Passionnée par l’ailleurs (et plus particulièrement l’Asie) depuis toute petite, je m’intéresse à cette arrière-grand-mère au teint halé et à la chevelure frisée qui nourrit mes fantasmes : c’est la photo la plus ancienne que nous possédons du coté de ma mère. Mais rien ne nous dit quelle pourrait être son origine : ni son nom, ni ses parents dont on ne sait rien. Seul son surnom, « la créole », nous laisse deviner des origines Antillaises ou Réunionnaises. Sur la photo, son regard est brillant et espiègle. Envie d’en savoir plus …

Dans la famille, du côté de ma mère, on nous trouve souvent un air d’ailleurs. Lorsque je voyage, on me demande parfois si je n’ai pas une autre origine que celle figurant sur mon passeport : les mongols me trouvent un air de kazakh, une chinoise me demande un jour si je ne suis pas originaire d’une région à l’est de la chine, au Burkina on me croit une marocaine, … finalement, avec le temps, je trouve que porter sur soi l’universalité du monde est plein de poésie.

En faisant quelques recherches, je découvre que cette tâche est en fait très courante : un bébé blanc sur dix la porte à la naissance, 100% des bébés asiatiques l’ont et 90% des bébés africains l’ont également et un hispanique sur deux l’aurait. J’apprends qu’elle ne disparait pas toujours et qu’elle porte plusieurs noms : tâche mongole, tâche mongoloïque, tâche d’Attila, tâche ethnique ou tâche méditerranéenne.

Témoignant de l’incroyable (et rassurant) métissage des êtres humains, cette petite tâche est devenue pour moi un symbole que je brandi face au racisme croissant de mon pays, face aux idéaux xénophobes d’une partie de la population française.

Mais plutôt que de me lancer dans une enquête généalogique ou scientifique ou idéologique, ma curiosité artistique me pousse à me laisser porter par le fantasme que cette histoire provoque en moi. Je laisse cette fois-ci aux cartésiens le soin de découvrir la vérité. »

Cécile Mirambeau