ANGLE MORT | Sandra Plantier

Série réalisée lors du stage de Claudine Doury, 2021.

 

Le temps s’allonge et me semble devenir immobile.

Les souvenirs sont des fantômes qui frappent à la porte, la mémoire un château hanté ouvert à quatre vents…

Je songe à ceux qui ne sont plus. Il y en a tant autour de moi.

C’est étrange de penser que la vie continue, qu’elle avance quoi qu’il arrive, un peu comme un bulldozer en pilote automatique. Et ceux qui tombent sont laissés là, puis derrière, puis de plus en plus loin. Et la vie ne semble pas s’en faire, ne semble pas y prêter attention, elle continue de bourgeonner, de procréer, de foisonner et de nous emmener avec elle. Et le monde qui était celui de ceux qui ne sont plus s’éloigne lui aussi. Il continue d’exister mais perd progressivement de sa consistance, peut-être parce qu’à l’état de souvenirs, les choses s’usent peu à peu, comme un disque perdant sa précision à force d’écoute…

Peut-être est-ce d’ailleurs à prendre au premier degré : le monde d’hier, le monde de ceux qui ne sont plus s’éloigne, s’efface, semble sur le point d’être perdu. La destruction, la déforestation, le réchauffement climatique, l’urbanisation galopante sont autant de vagues lancées contre la falaise du Vivant. Et j’ai l’impression de me tenir là, tout au bord de l’abîme, d’entendre le fracas de la mer et des rochers qui tombent. Et le Temps continue sa route, talonné de près, et il faudrait que nous fassions de même. Avancer de plus en plus vite, sans se retourner, sans chercher à comptabiliser tous ceux qui tombent sous la faucheuse, humains et surtout non-humains.

Ce soir, j’ai presque l’impression d’avoir cent ans et d’être si vieille que je n’appartiens plus à ce monde, comme un fantôme en devenir qui sent que son départ est proche et inéluctable. Parce que plus rien ou presque ne l’y retient.

Comment trouver sa place dans le monde d’aujourd’hui quand on vient du monde d’hier et qu’on ne veut pas courir à perdre haleine ?